II/Face à la ségrégation: Blues, Jazz et Swing


La situation après la guerre de sécession:


En 1865, au lendemain de la guerre de Sécession, Lincoln, président américain, signe l'abolition de l'esclavage.
Dès lors, 4 millions de Noirs deviennent des hommes libres, aspirant à une vie meilleure et croyant aux promesses de leur libérateur. Cependant, l'espoir d'un affranchissement durable va trouver sa fin en 1865 avec l'assassinat de Lincoln. Andrew Johnson prend alors les rênes du pays en mettant fin aux actions de son prédécesseur.
Dans le Sud, des lois ségrégationnistes connues sous le nom de « Jim Crow laws » vont alors ériger une ligne destructrice qui séparera durablement le Nord et le Sud des États-Unis.
L'année 1865 voit également l'apparition du « Ku Klux Klan », organisation fondée sur les ruines de l'armée du Sud et dont le but ultime est la suprématie des Blancs aux Etats-Unis.
Les Noirs, délaissés par le Nord, vont subir massacres et lynchages à répétition et vont vivre, sur de nombreux aspects, une vie plus dure qu'avant la guerre civile.
De cette désillusion va alors naître un nouveau genre musical, largement inspiré des négro-spirituals, et mélange d'airs africains et anglo-saxons : le Blues. Ces chants, expriment le quotidien difficile des Noirs dans le sud : la pauvreté, le racisme, l'alcoolisme et même le mal d'amour à travers des airs mélancoliques et une touche d'humour et d'ironie pour nombre d'entre eux.



Carte des Etats-Unis pendant la guerre de Sécession 1861-1865
abcvoyages.com

Extrait de « Gimme a pigfoot » 1933 de BessieSmith, «l'Impératrice du blues ».

Slay me 'cause I don't care
Tuez-moi , j'm'en fous
Gimme a reefer and a gang o' gin
Filez-moi un pétard et du gin
Slay me 'cause I'm in my sin
Tuez-moi, j'suis dans mon péché
Slay me 'cause I'm full of gin
Tuez-moi j'suis pleine de gin
Check all your rasors and your guns
Vérifiez vos rasoirs et vos pétards
Do the shim-sham shimmy till the risin' sun
Dansez le shim-sham shimmy jusqu'à ca que le soleil se lève.




Caractéristiques et diffusion du blues: 

A l'inverse des Spirituals et du Gospel qui expriment l'espoir et la foi, le blues exprime le désespoir de la population noire a travers un répertoire beaucoup plus politique. On peut le voir notamment dans la déchirante interprétation de « Strange fruit » de Billie holiday en 1939 :


Southern trees bear strange fruit
Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Blood on the leaves and blood on the root
Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines
Black bodies swinging in the southern breeze
Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud
Strange fruit hanging from poplar trees
Un fruit étrange suspendu aux peupliers

Pastoral scene of the gallant South
Scène pastorale du vaillant Sud
The bulging eyes and the twisted mouth
Les yeux révulsés et la bouche déformée
Scent of magnolia sweet and fresh
Le parfum des magnolias doux et printannier
Then the sudden smell of burning flesh
Puis l'odeur soudaine de la chair qui brûle

Here is a fruit for the crows to pluck
Voici un fruit que les corbeaux picorent
For the rain to gather, for the wind to suck
Que la pluie fait pousser, que le vent assèche
For the sun to ripe, to the tree to drop
Que le soleil fait mûrir, que l'arbre fait tomber
Here is a strange and bitter crop
Voici une bien étrange et amère récolte


Ce texte glaçant, écrit en 1937 par Abel Meeropol, décrit le lynchage et la pendaison de deux Noirs, Abram Smith et Thomas Ship par les membres du ku klux klan dans l'Indiana.
C'est grâce à l'interprétation de « lady day » que cette chanson va devenir l'une des plus puissantes dénonciations de la ségrégation et l'un des plus grands hymnes du combat racial aux États-Unis. Elle se battit pour l'enregistrer et fut même bannit d'Alalabama pour avoir tenter de prononcer les premiers vers du poème.
C'est elle qui donna la force et la puissance à cette chanson audacieuse et unique pour l'époque, étant trop claire, trop douloureuse, trop polémique.
 


A la fin du 19ème siècle, une partie de la population Noire s'embourgeoise dans les villes industrialisées du Nord tandis que les plus pauvres restent dans le sud et subissent les violences des extrémistes sudistes.
Dès lors beaucoup des Noirs vont trouver dans la musique et plus particulièrement dans le blues, un échappatoire à la ségrégation et à l'oppression des Blancs.
Dans le Sud, le blues se repend dans des bars appelés « Juke Joints », où l'on chante et l'on danse pour oublier, puis celui ci va s'infiltrer dans les villes du Nord et ses « Minstrel Show » où chanteurs blancs se peignent le visage en noir (les « black faces ») et caricaturent les danses et chants noirs. Peu à peu, des chanteurs et musiciens noirs vont être accepter au sein de ces spectacles mi- racistes mi- humoristiques et vont se plier aux volontés d'un public exclusivement blanc.

               
    Artistes Blancs en "black faces",
ferris.edu 


L'exemple de la "fisk university":


 A cette époque, la musique aura permis de financer l 'émancipation socio-culturelle des afro-américains. En effet, dans les années 1870, des universités mixtes, pour étudiants noirs telles que la Fisk university dans le Tennessee, voient le jour et avec elles l'espoir d'un affranchissement culturel. Cependant, ces universités ne seront pas subventionnées par l’État, et devront leur survie à des chœurs d'étudiants qui chantent leurs spirituals et récoltent leurs fonds en villes, puis sur toute la côte Est et même en Europe.
Dès lors, beaucoup d'autres écoles noires saisissent la même opportunité et nombre d'entre elles furent sauvées grâce à la musique.

Naissance du jazz et arrivée des afro-américains dans l'industrie de la musique:

Dans les rues de la Nouvelle-Orléans, le blues improvisé de Buddy Bolden, trompettiste d'orchestre renommé, inspire de nombreux musiciens : c'est la naissance du Jazz. Ce genre musical, mélange de blues et de ragtime (musique d'orchestres et de fanfares de la fin du 19ème), se signale par son excentricité, sa technique d'improvisation, sa sensualité et son optimisme.
Dans les années 1910-1920, l'arrivée des premiers enregistrements ainsi que la volonté, déjà présente, de créer des liens entre les communautés noires isolées, amènent à la diffusion de la musique afro-américaine dans tous le pays.
Le jazz ainsi que le blues gagnent en notoriété auprès des Blancs, et les Noirs remplissent alors les scènes des « night club » de New York et Chicago et provoque l'admiration du public blanc.
Le « Cotton club » d'Harlem est une parfaite représentation de cette renaissance et de l'arrivée marquante des Noirs dans l'industrie de la musique.

  
Le "cotton club" d'harlem avec à l'affiche Cab Calloway,
 allposters.fr

En 1920, le premier disque de blues d'une Noire à destination des Noirs est enregistré par le label « Race records » permettant dès lors la reconnaissance d'un public noir comme acteur économique.
En effet, ce disque est un véritable succès : près de 70 000 exemplaires sont vendus en une semaine. Mamie Smith, l'interprète de ce disque, vient de prouver qu'un véritable marché existe. La radio, elle aussi, ouvre de nouveaux moyens de diffusion qui vont permettre à la communauté noire de s'affirmer dans le domaine de la musique et à obtenir du poids dans la société.
En 1921, le premier label noir voit également le jour sous le nom de
« Black swan-records » : on assiste à un véritable affranchissement des afro-américains dans l'industrie de la musique. 

 
  C.D du label "black swan records de Florence Cole Talbert,
   blackpast.org

Néanmoins, dans les orchestres et spectacles, les musiciens blancs et noirs restent séparés. Ce ne sera que le 16 janvier 1938 que le public de Carnegie hall à New York va découvrir avec surprise l'orchestre de Benny Goodman composé de Blancs et de Noirs.



Benny Goodman et son orchestre composé de Lionel Hampton, au centre, et Teddy Wilson, à gauche, tous deux musiciens noirs. 
riverwalkjazz.stanford.edu

Des légendes du jazz telles que Louis Armstrong ou Duke Ellington ont su donner du crédit à une culture noire discréditée et bafouée et ont accompagné la lutte continuelle de leur communauté avec des musiques aux message d'espoir et de confiance envers le futur.

« Summertime » de Louis Armstrong et Ella Fitzgerald, 1935
 
Summertime and the livin' is easy
C'est l'été et la vie est facile
Fish are jumpin' and the cotton is high
Les poissons bondissent et le coton est haut
Oh your Daddy's rich and your ma is good lookin'
Oh ton papa est riche et ta maman est belle
So hush little baby, don't you cry
Alors chut, petit bébé, ne pleure pas

One of these mornings
Un de ces jours
You're goin' to rise up singing
Tu te lèveras en chantant
Then you'll spread your wings
Puis tu déploieras tes ailes
And you'll take to the sky
Et tu te réfugieras dans le ciel
But till that morning
Mais d'ici là
There's a nothin' can harm you
Il n'est rien qui puisse te faire du mal
With daddy and mammy standin' by
Avec papa et maman à tes côtés

Summertime and the livin' is easy
C'est l'été et la vie est facile
Fish are jumpin' and the cotton is high
Les poissons bondissent et le coton est haut
Oh your Daddy's rich and your ma is good lookin'
Oh ton papa est riche et ta maman est belle
So hush little baby, don't you cry
Alors chut, petit bébé, ne pleure pas





Les "house-rent party":

Dans le Harlem des années 1920, en pleine renaissance artistique et politique, la vie se fait dure et les loyers de plus en plus en chers.
Des fêtes (les "house-rent party" ou "fêtes à loyer"), où musique, repas et danses sont au rendez-vous, sont alors organisées et vont permettre, grâce à la participation de chacun, à des musiciens et chanteurs Noirs de subvenir à leurs besoins et de payer leur loyer. Ces fêtes deviennent alors de plus en plus courantes et permettent à des musiciens tels Fats Waller de "survivre" dans cette période où prohibition, night club et pauvreté coexistent difficilement.

                                       
 
Affiche pour une "house-rent party", 
 streetswing.com


La guerre en Europe, le swing et la renaissance d'un espoir: 

En 1942, après l'entrée en guerre des États-Unis, le swing représenta pour tous les peuples en guerre, l'incarnation de la liberté et l'espoir du retour des troupes.
En Europe, les afro-américains furent accueillit tels des héros, et leur jazz et leur swing ne tardèrent pas a conquérir les européens. Ces derniers furent agréablement surpris de ne pas être considérés tels des sous-homme par les Blancs d'Europe, qui ne connaissaient pas la ségrégation raciale comme aux États-Unis.
 Ils pouvaient aimer des femmes blanches sans être tués, n'étaient pas séparés du reste de la population et au moment de retourner au pays, ils emportèrent avec eux ces expériences inoubliables et une volonté plus forte que jamais, d'acquérir enfin le respect et l'égalité.

                       
  
Soldats afro-américains sur le front européens 
pendant la 2nde guerre Mondiale,
carlpepin.com

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