III/ Le temps du changement : R'n'B, Rock, Freedom songs, Soul/Funk et Rap


La naissance du rhythm'n'blues : le prémice d'un bouleversement.


A la fin de la seconde Guerre Mondiale, une nouvelle musique puisant à la fois dans les racines du blues, du swing et du gospel vit le jour : le rhythm'n'blues.
Ce nouveau courant musical, appelé au départ "Race music" car exclusivement joué par des Noirs, se rependit très rapidement au sein des jeunesses américaines noires et blanches, à une époque où l'économie des Etats-Unis repartait.
En effet dans les années 1950, les adolescents noirs et blancs écoutaient des musiques de plus en plus proches sans en avoir réellement conscience et de plus en plus d'entre eux appréciaient cette nouvelle musique si explicite, si excitante.
Le rhythm'n'blues annonçait une nouvelle ère où les barrières raciales s'effondraient.

On peut le voir notamment dans les concerts de la grande Ruth Brown, surnommée "little miss rhythm", où Noirs et Blancs étaient séparés par une corde gardée par les autorités mais finissaient finalement par se mélanger tant cette musique les enthousiasmaient.
Les jeunesses noires et blanches se rapprochaient de plus en plus et c'est en 1954 que ce rapprochement se finalisa avec l'interdiction de la ségrégation raciale au sein des écoles.

Tous ces signes étaient annonciateurs de temps nouveaux et de changements qui bouleverseraient l'Amérique pour les vingt années à venir.

Ce bouleversement, d'un point de vue musical, commença lorsque des musiciens blancs tel Bill Haley, reprirent des chansons de musiciens noirs (en 1954 il reprit le célèbre morceau "shake, rattle and roll" du chanteur Noir Big Joe Turner).
Le rhythm'n'blues se transforma alors peu à peu en une musique qui allait déchainer les foules du toute l'Amérique : le rock n'roll.

Le rock n'roll : l'affirmation de l'identité Noire.

Ce courant musical, dérivé du rhythm'n'blues, se signalant de par son excentricité et son caractère sauvage, s'immisça peu à peu dans tous les foyers américains des années 1950.
A sa naissance, ces principaux précurseurs étaient des chanteurs noirs comme Chuck Berry ou encore Little Richard, qui ne cherchaient plus à cacher le fait qu'ils étaient Noirs. Ils revendiquaient à présent leur couleur, leurs origines à travers des expressions et des danses propres à leur communauté.





"Johnny B.Goode" de Chuck Berry live 1958.



"Tutti frutti" de Little Richard 1956.

Cette chanson fut la même année reprise par ce nouveau chanteur blanc, future légende du rock n'roll : Elvis Presley.
Autant apprécié par les Blancs que par les Noirs, Elvis et le rock n'roll faisaient peur. En effet, de nombreux politiciens et hommes blancs de ce temps qualifiait cette musique de "musique de nègres" ou encore "d'obscène, de vulgaire et rabaissant l'homme blanc à l'homme de couleur".



                                     

                                    
 Elvis Presley, vers 1960
bloxode.com

Malgré la puissance de rapprochement et d'intégration de la musique, le racisme était toujours présent, et les premiers étudiants noirs qui voulurent intégrer les écoles et universités désormais "mixtes" furent reçus à coup de pierre et humiliés par les insultes et les crachats.




Elizabeth Eckford, jeune étudiante noire se faisant huer et insulter lors de sa rentrée dans l'école secondaire de Little Rock, jusqu'alors réservée aux Blancs. septembre 1957. glogster.com






Etudiants blancs lors d'une manifestation contre l'intégration des Noirs dans les écoles jusqu'alors blanches.
tpemlk.centerblog.net

Le temps du changement : le mouvement de lutte pour les "Civil rights"

 
Les années 60 sont celles de la révolte collective.
 
Le fameux épisode du 1er décembre 1955Rosa Parks a refusé de céder sa place à un passager blanc comme elle était censée le faire, est l'un des principaux éléments déclencheurs (surement le plus grand) d'un formidable mouvement de révolte collective et pacifiste qui s'acheva en 1964, lorsque le président Johnson fit voter les "Civil & Volting Rights" qui donnent officiellement aux Noirs le même accès légal aux droits civiques et au systême électoral.

 


Le président Lyndon Johnson et Martin Luther King lors de la signature du "CivilRights Act", 2 juillet 1964.
longwharf.org

Durant cette période, la communauté afro-américaine se réunissait dans les églises pour écouter les discours du grand et charismatique révérend Martin Luther King.
A la fin de chacun de ces meetings, on chantaient la liberté, l'espoir, à travers des gospels puissants et joyeux. Ces chants devinrent dès lors l'un des principaux moteurs du mouvement.

Pendant ces 10 années où militants noirs et blancs subirent la brutalité et la répression des opposants, la musique ne cessa de les accompagner jusque devant la police lors des arrestations où l'on chantaient ces chants de liberté : les "freedom songs".


Manifestation pour l'acquisition des droits civiques, au centre en tête Martin Luther King, newsone.com

Paroles d'un des plus célèbres "Freedom songs": "Ain't gonna let nobody turn me around".

Ain't gonna let nobody, turn me around
Je ne laisserai personne, tourner autour de moi
Turn me around, turn me around
Tourner autours de moi, tourner autour de moi
Ain't gonna let nobody, turn me around
Je ne laisserai personne, tourner autour de moi
Keep on a walking, keep on a talking
Continue de marcher, continue de parler
Keep on a singing, keep on a swinging
Continue de chanter, continue de nager
Gonna build a brand new world
Allons construire un tout nouveau monde


La musique leur servit non seulement à créer un sentiment d'unité entre eux et les Blancs qui se sont joints au mouvement mais aussi a véhiculer un message de révolte.
Plus que jamais présente dans leur mouvement de lutte, celle-ci leur permit de faire de nombreux appels à la mobilisation contre la ségrégation.

Reprise de "Hit the road Jack" de Ray Charles en "Get your rights Jack"
(morceau n°204) : http://www.folkways.si.edu/voices-of-the-civil-rights-movement-black-american-freedom-songs-1960-1966/african-american-music-documentary-struggle-protest/album/smithsonian


Dans les réunions publiques des nombreuses nouvelles associations luttant pour les droits des Noirs et dans les manifestations, toujours pacifistes, on chante comme dans les bus des "Freedom Rides". Le principe de ces voyages est simple: parcourir les Etats du Sud ségrégationnistes dans des bus peuplés de jeunes activistes Noirs et Blancs mélangés.
Les bus sont pris d'assaut, les militants insultés, roués de coups. Ils ne répondent pas, mais chantent.




Freedom Riders 1961, 
congressofracialequality.org


We shall overcome: hymne du mouvement

Une chanson, en particulier, est associée au mouvement pour les droits civiques au point d'en devenir l'hymne, c'est "We shall overcome" (Nous vaincrons).
Le texte est inspiré d'un gospel et la musique d'un negro spiritual.
Le titre se diffuse rapidement, à travers les Freedom Rides, les manifestations, sit-in et rassemblements.
C'est un chant de lutte et d'optimisme. La chanson s'accompagne d'un rituel: les participants se tiennent les mains les bras croisés, créant une véritable chaîne humaine.
We shall overcome                                      
Nous vaincrons
We shall overcome someday                        
Un jour nous vaincrons
For I know in my heart                                  
Je sais dans mon coeur
It will comme thrue                                        
Que cela arrivera
We shall overcome someday                      
Un jour nous vaincrons






I have a dream: la marche de Washington


Le 28 août 1963, l'événement le plus important de la décennie pour le mouvement prend place, c'est la Marche de Washington.
Cette grande marche pacifiste a rassemblé 250.000 personnes. Martin Luther King y a prononcé son fameux discours "I have a dream..". Plusieurs artistes engagés ont chanté à cette occasion, notamment les Folk singers, Bob Dylan et Joan Baez, et tous ont à la fin chanté l'inévitable "We shall overcome" repris par la foule.
A la fin de son discours, Martin Luther King prononce les paroles du spiritual "Free at last" (Enfin libres), signe de l'importance de la musique dans le combat des afro-américains. 


                                     
"Free at last" de Jackie Day, 1963

Malgré le vote de l'acquisition des droits civiques pour les Noirs, les violences dans le Sud ainsi que la ségrégation perdurent : à Birmingham, Alabama en 1964, une bombe explose dans une église noire et tue quatre petites filles. Le discours d'espoir et de paix du Nord se heurtent durement à la brutalité du vieux Sud et au milieu des années 1960, le seul endroit où se rêve d'égalité et d'intégration semble se concrétiser est la musique.  

L'avènement des grands labels : L'exemple de la "Motown":

Berry Gordy, en 1959, crée le label de la "Motown" qui au fil des années devint une véritable usine à disques. Chaque mois de nouveaux morceaux sortait des studios de la "Motown" et avec eux des interprètes tels que Diana Ross and the Supreme, The Temptations. Ces artistes, de par leur musique et leur enthousiasme, effaçaient la brutalité de leur époque et devinrent rapidement des légendes de la musique afro-américaine.



Logo de la maison de disques "Motown"
capchamag.net

En 1965, une lutte d'un genre nouveau et l'explosion de la Soul :

A partir de 1964-1965, un nouveau mouvement de lutte voit le jour avec à sa tête des leaders comme Malcom X.
Cette nouvelle génération d'opposants ne veut plus attendre patiemment que les autorités appliquent la loi et respectent leurs droits quand bon leur semblera. Ces nouveaux opposants, tels les membres du parti des "black panthers" (mouvement révolutionnaire prônant l'autodéfense des Noirs) veulent du changement dans l'immédiat.
Leur idéologie est simple : si pour obtenir leur liberté violence il doit y avoir, violence il y aura.



Logo du parti des "black panthers"
aa-na.e-monsite.com

Désormais les Noirs ne chantaient plus l'espoir de la liberté, ils chantaient leur colère et leur volonté de faire bouger les choses, sans compromis et sans ménagement.

Cette explosion que connu la lutte afro-américaine, se ressentit encore une fois dans la musique, fidèle accompagnatrice de la révolte noire.
C'est l'apogée de la "Soul music".
Cette musique tranchait avec les accords étincelants des grands labels des années 50-60 qui plaisaient à la population blanche. La soul détonnait de par son exubérance, sa chaleur venue du Sud et son empreinte purement noire.
Ses précurseurs sont Sam Cook, Otis Redding, Ray Charles ou encore Aretha Franklin et le grand James Brown, le "parrain de la Soul" et "père de la Funk". 
Tous ces grands artistes internationalement connus font, dans les années 60-70, preuve d'une assurance nouvelle, l'assurance de toute une communauté qui n'a plus peur d'aller au devant des Blancs. 

On le voit notamment avec la reprise fulgurante reprise de "Satisfaction" des Rolling Stones par Otis Redding en 1967, ou encore avec "Respect" d'Aretha Franklin et enfin à travers le très célèbre "Say it loud, I'm black and I'm proud" de James Brown en 1968, chanson significative de la volonté plus présente que jamais des Noirs d'être fière de leur couleur et de leur peuple.



Cette affirmation identitaire se ressentait dans la musique mais désormais aussi dans les rues, où coupes "afro" et vêtements légers et colorés étaient portés par toute la communauté noire. 


Militantes noires des "black panthers" portant la coupe "afro", 1968
mubi.com

Les mots prononcés par Jessie Jackson lors du festival soul-funk de Wattstax le 20 aout 1972, révèlent une communauté qui après plus de 15 ans de lutte pour l'acquisition de droits, était désormais libre, libre de prononcer ces trois mots : "I am somebody".





Face à la crise: la fièvre disco
Chez les leaders des Civil Rights, l'amertume remplace petit à petit l'énergie du Soul power. La crise provoque un besoin d'évasion, de plaisir, de danse. 
Au milieu des années 70, le disco permit pour un moment à cette population de s'évader des problèmes de chômage, d'insécurité
La fièvre disco rassemble Noirs et Blancs, hétérosexuels et homosexuels, entraînés dans la frénésie dansante. 







Le Studio 54 : un club disco de New York
woodstockwardrobe.com


Les ghettos et le rap

Loin du Studio 54, dans les ghettos ravagés par la crise comme le Bronx, naissait un nouveau genre: le rap
Ces jeunes n'avaient rien mais inventèrent une nouvelle culture, une nouvelle façon de danser, de chanter. 
En effet, l'Amérique de Reagan ne faisait plus rien pour l'avancement des Noirs, préférant s'occuper des riches.
Personne ne s'intéressait à leurs problèmes et leur quartier ravagé par l'industrie criminelle et la drogue. La violence est omniprésente, et l'arrivée du crack la décuple. Cette brutalité se ressent dans les disques de rap et hip-hop.
La situation des ghettos est notamment dénoncée dans "The message" de Grandmaster Flash en 1982.

      


It's like a jungle sometimes, it makes me wonder
C'est comme une jungle parfois, je me demande
How I keep from going under

Comment je fais pour ne pas sombrer
Broken glass everywhere
Du verre brisé partout
People pissing on the stairs, you know they just don't care

Des gens qui pissent dans l’escalier, ils s'en foutent
I can't take the smell, can't take the noise

Je ne supporte plus l'odeur, supporte plus le bruit

Ce style musical prône une égalité entre tous et dénonce les inégalités sociales. 

Le retour à une musique essentiellement basée sur le rythme plus que sur la mélodie ramène aux polyrythmies de percussions africaines.
L'ancêtre le plus proche du rap est le "spoken word" (« mot parlé »), apparu au début des années 1930.

Face à la pression de parents américains offusqués par les paroles à caractère violent et sexuel, apparaît en 1985 le logo "Parental Advisory: explicit lyrics", qui devient obligatoire sur tous les disques jugés provocantsLa plupart des disques de rap s'en retrouvent ornés, ce qui ne les rendra que plus populaires auprès des jeunes.



wikipédia.org

Cependant, à partir des années 90, les rappeurs ne dénoncent plus les inégalités dans leurs chansons. Ils revendiquent alors un certain mode de vie, un autre statut. A la place, il est question de femmes, de réussite financière et de grosses voitures : c'est le gangsta rap, porté par des rappeurs tels Tupac ou Snoop Dog.



Le rappeur Tupac dans son clip '"California Love'", 1996
truthabouttupac.com



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